presages rencontres

Les présages : Superstition ou connaissance ?

Cette partie des présages est sans doute celle où se révèle le plus la nature des présages. En effet, à travers les événements et les personnes auxquels il nous arrive d’être confrontés chaque jour (ce que nous désignons par le terme général de rencontres), il apparaît clairement que tout peut constituer un présage, et non pas seulement certaines catégories privilégiés comme les présages d’animaux, les présages des éléments ou encore les présages des astres. Selon l’adage ancien, omnia sunt signa : tout est signe pour qui sait voir.

Les divers présages et rencontres que nous allons voir ne composent donc pas une liste exhaustive ; une énumération qui se voudrait complète serait condamnée à se prolonger indéfiniment : il lui faudrait contenir tout l’univers. On trouve ici les couples d’oppositions fondamentales, dont il est aisé de rechercher des exemples dans les autres chapitres. Ces oppositions forment l’ossature de notre perception, le cadre de notre expérience, c’est donc à partir d’elles que nous prenons conscience du fait que les multiples événements qui jalonnent notre existence ne surviennent pas de façon désordonnée, mais reflètent l’ordre et l’unité de l’univers.

La gauche et la droite

Le cotĂ© droit est le cotĂ© de la dĂ©cision, de la volontĂ©, de l’action (la main qui Ă©crit, la main habile est en gĂ©nĂ©ral la main droite). Le cotĂ© gauche est celui de la passivitĂ©, de l’incertitude (la main gauche est maladroite). Ce qui donne lieu Ă  deux types de prĂ©sages avec les rencontres. Le plus souvent le cotĂ© gauche est considĂ©rĂ© comme nĂ©faste. Le mot latin signifiant « gauche Â», sinister, a donnĂ© en français « sinistre Â», ce qui indique bien l’anciennetĂ©  de cette assimilation de la gauche au mauvais sort. C’est pourquoi, traditionnellement, les gauchers Ă©taient tenus en suspicion, car on leur attribuait une connivence avec le diable, maĂ®tre de tout dĂ©sordre et de toute confusion.

Mais quelquefois, au contraire, le coté gauche est favorable, car il représente la spontanéité, le naturel, alors que le coté droit est vicié, perverti par son aspect utilitaire, par sa subordination à la volonté et à la réflexion. De là vient que se lever du pied gauche est un mauvais présage, alors que se lever du pied droit est un signe que tout va aller de travers pendant la journée. De là vient aussi l’usage de toujours lire les lignes dans la main gauche et jamais dans la main droite, ainsi que celui de faire couper le jeu, lorsque l’on tire les cartes, de la main gauche par la personne qui consulte.

Cette ambivalence de l’opposition gauche-droite montre bien la nécessité d’une certaine prudence dans l’interprétation : il faut se garder de conclure trop hâtivement, avant d’avoir soigneusement pesé le pour et le contre.

Le matin et le soir

De nombreux présages sont mauvais le matin, alors qu’ils sont bons ou indifférents le soir. Nous avons pu le constater notamment dans les présages des éléments à propos de l’éternuement. Pourquoi ? Aristote en donne l’explication

Pourquoi les éternuements sont-ils de mauvais augure depuis minuit jusqu’a la moitié du jour, tandis que ceux qui ont lieu de la moitié du jour à minuit passent pour être bons ? N’est-ce pas parce que l’éternuement semble devoir nous arrêter davantage quand nous commençons quelque chose, et qu’on est au début de ce qu’on fait ? Aussi, quand il arrive au moment où l’on va commencer une chose, c’est alors qu’il nous détourne surtout de la faire. Or l’aurore et l’intervalle qui va de minuit à midi est une sorte de commencement. Aussi, à ce moment là, prenons-nous bien garde de ne pas éternuer, pour le pas être arrêtés dans ce que nous désirons faire. Au contraire, l’après-midi et le soir, jusqu’à minuit, sont plutôt une fin, et l’opposé du matin. Il en résulte qu’on doit prendre la même précaution, mais dans le sens contraire.

La même explication régit tous les présages et rencontres matinaux : il s’agit toujours d’obstacles qui viennent interrompre l’élan du début de la journée. De même, les présages que l’on rencontre en sortant de chez soi constituent autant d’encouragements ou de mises en garde concernant la poursuite de l’activité ou du projet que l’on se proposait de mener à bien.

Passer sa chemise de travers le matin est signe de mauvaise nouvelle Déchirer ses manchettes en s’habillant est un présage fâcheux. Se coiffer de travers augure un procès. Se coiffer de travers augure un procès. Se coiffer la nuit annonce une profonde tristesse. S’endormir à midi préfigure des malheurs, dormir dans la journée présage une perte à subir. Bailler le matin annonce une visite.

Selon un vieux diction, « qui chante le matin pleurera le soir Â», c’est un exemple typique de formule anodine en apparence, mais qui repose sur un fonds cohĂ©rent, une connaissance oubliĂ©e. En l’occurrence le caractère dĂ©terminant des signes matinaux sur les Ă©vĂ©nements de la journĂ©e.

En se chaussant le matin, enfiler d’abord le soulier droit n’annonce rien de bon, de même que sortir de chez soi du pied droit (c’est à dire en effectuant du pied droit le premier pas dehors).

Voici un autre exemple de déformation par de longs siècles de bouche-à-oreille populaire. On dit quelquefois qu’il ne faut pas éternuer en se chaussant. Ce dicton, pris à la lettre, est trompeur. Car ce n’est pas le fait d’éternuer en se levant le matin qui est un mauvais présage, mais d’éternuer en se levant le matin. Or, quand on se lève, en général on se chausse. Le diction ne prend tout son sens que si l’on ne restitue la signification originelle, autrement ce n’est qu’une formule arbitraire.

Le haut et le bas

Le mouvement vers le haut est associé à la communication avec le surnaturel, le divin, tandis que le mouvement vers le bas symbolise la dégradation, la déchéance, la fatalité. Ainsi tout ce qui tombe, tout ce qui se renverse, a-t-il une valeur négative : c’est l’enracinement dans sa condition et l’impossibilité d’y échapper.

Un tableau qui tombe de son cadre est un sinistre présage. La chute d’un meuble est également de mauvais augure. Un couteau, des ciseaux qui tombent et restent fichés en terre sont un présage de mort. En revanche, s’ils tombent à plat, c’est l’annonce d’une visite. Un torchon qu’on laisse échapper des mains annonce aussi une visite.

Si, tenant un jeu de cartes complet en ses mains, on laisse tomber par mégarde une carte, c’est le signe qu’on recevra un affront. De même, quand une carte glisse des mains. Renverser une chaise annonce une querelle pour bientot, même si on ne l’a pas fait sous le coup de la colère ou de la nervosité mais par simple maladresse. Voir un blanc renversé signifie des ennuis en perspective. Renverser un encrier annonce un deuil prochain. Une femme qui perd sa jarretière doit s’attendre à un chagrin peu de temps après. Une pantoufle qui glisse du pied du mari indique que son épouse va lui chercher querelle.

Les obstacles à l’action

Tout obstacle que l’on remarque au début ou pendant le cours d’une action est un signal, un avertissement, mais, répétons-le, ce n’est pas nécessairement l’annonce d’un événement fâcheux : ce peut être quasi un encouragement.

Trébucher en sortant de chez soi, buter ou glisser sur une pierre, signifie que ce qu’on s’apprêtait à faire risque de ne pas donner le résultat escompté. Un amoureux qui glisse dans l’escalier conduisant au logis de sa bien-aimée doit craindre de ne jamais se marier avec elle. Quand une vieille femme glisse sur une marche d’escalier, on en conclut, aux Etats-Unis, que la même chose va arriver à deux jeunes mariés. Une personne qui se pique le doigt en faisant de la couture recevra un baiser dans la journée. Casser une aiguille signifie que l’on sera confronté à un choix difficile.

Un lacet qui se casse indique à l’amoureux une trahison. Un miroir brisé est l’annonce d’un grand malheur. Casser un verre pendant qu’on était entrain de l’essuyer annonce une nouvelle venue de loin. Une corde de piano qui se casse est le signe d’une peine à venir et d’un désespoir. Un ruban qui se rompt indique que la personne qui vous aime pense à vous en ce moment. Égarer un seau ou un balai est malchance en perspective. Une femme enceinte qui néglige son évier sera longtemps en travail d’enfant. Porter de vieilles chaussures annonce un chagrin.

Les habits rongés par les souris ou les mites sont le signe d’événements malheureux à venir. Acheter une vieille malle ou une vieille valise chez un brocanteur annonce une perte d’argent. Lorsqu’une maison parait vieille à ses habitants, c’est un mauvais présage. Comme on le voit, tout ce qui est vieilli, usé, apparaît comme l’indice d’une mauvaise fortune à venir.

En effet, cela va souvent de pair avec un certain laisser-aller dans la conduite de son existence. Mais là encore, il faut savoir tirer des présages négatifs leur contenu positif : de tels présages ne doivent pas décourager, mais inciter à un renouveau, ils avertissent d’une tendance qu’il est toujours possible de reprendre en main et de modifier.

Dormir dans un lieu abandonné, une ruine, porte malheur à toute personne autre qu’un religieux. Engendre les cloches d’une église sonner alors qu’on marche dans la campagne prédit une maladie. Un jeune garçon qui entend un tambour à la campagne connaîtra les honneurs militaires. Trouver de la paille dans sa chambre à coucher annonce une visite dans la journée. Une porte qui s’ouvre toute seule présage une grave maladie.

Passer sous une échelle est un mauvais présage bien connu, mais on ne lui attribue peut-être pas toujours sa véritable signification. Car il est évident que passer sous une échelle est une chose dangereuse en soi : on risque en effet de la recevoir sur la tête, avec éventuellement la personne qui se trouvait dessus. Mais cela ne constitue pas un présage. Les présages ne sont jamais tels par eux-mêmes, mais en fonction de leur caractère symbolique.

C’est une distinction qu’il faut toujours avoir présente à l’esprit. Or, du point de vue symbolique, que représente l’échelle ? Selon la tradition, l’échelle représente le lien, le passage entre le ciel et la terre, entre le monde d’en haut et celui du bas, tout comme l’arc-en-ciel dont nous avons parlé dans les présages des phénomènes extraordinaires. L’illustration la plus célèbre en est sans doute le songe de Jacob, dans la Genèse :

Il eut un songe : voici qu’une échelle, appuyée sur la terre, avait son sommet qui touchait les cieux, et que les anges de Dieu montaient et descendaient sur elle.

Passer sous une échelle signifie donc faire fi de la communication avec le sacré et s’en moquer, de même que montrer du doigt l’arc-en-ciel. La preuve en est que les sceptiques qui veulent montrer leur mépris des présages passent, dès qu’ils en ont l’occasion, sous une échelle, par dérision et pour faire acte de matérialisme. Mais la matière se venge, et souvent les rend ridicules.

Marcher sur le pied de quelqu’un présage mauvaise fortune. Les personnes qui se voient souvent marcher en rêve sont appelées à connaitre la célébrité. Une jeune fille qui, dans la rue, marche en tapant prétentieusement du talon doit prendre garde aux rêves de fortune. Marcher à grands pas indique de la vigueur, de la volonté et présage des réussites. Trop rêver augure de profondes peines. Une peur soudaine et immotivée signale un événement inattendu et surprenant dans les prochains jours. Une tristesse éprouvée sans raison annonce une grande joie pour bientot.

Répandre à dessein de mauvaises nouvelles, des racontars et des rumeurs pendant un festin n’augure rien de bon pour la personne qui le fait. On l’appelle oiseau de malheur, et tôt ou tard elle subira le même sort.

Donner un remède ou un médicament à quelqu’un est un bon présage, qui annonce un profit inattendu. Si deux cuillères se trouvent par hasard dans la même tasse ou la même assiette, un mariage aura prochainement lieu dans la famille. Les frais d’un mariage payé par une belle-mère laissent présager un divorce. Quand une femme nouvellement accouchée prend pour marraine de son enfant une femme enceinte, c’est mauvais signe, soit pour celui qui est déjà né, soit pour celui qui doit naître.

Il ne faut pas qu’une femme enceinte qui assiste à la messe voie le prêtre pendant qu’il s’habille pour le service, et surtout lorsqu’il met la ceinture de son aube. Un homme qui donne un coup de pied à une femme, ou qui bat un enfant, s’expose à des malheurs et à la déchéance. C’est un mauvais présage pour un homme de se moquer des sentiments d’amour devant une amie, une fiancée ou une épouse.

Lorsqu’un mari vient à faire la paix avec sa femme après une querelle, il aura de grands succès dans la journée. Il ne faut jamais offrir un couteau comme présent, c’est un signe qui brise l’amitié entre les personnes. Un couteau ramassé dans une rue est l’annonce d’un deuil.

Il faut se garder de mettre deux couteaux en croix : on se vouerait sans le savoir au diable, car c’est un rituel des adorateurs de Lucifer. Quand une jeune fille cherche en vain son épingle à cheveux, son amoureux est en train de penser à elle. Couper un livre avec une épingle à cheveux signifie déception pour bientot.

Les personnes

Si la première personne que l’on voit en sortant de chez soi pour se rendre à une affaire importante est une jeune femme qui pleure, l’affaire n’aura aucun succès.

Rencontrer une femme rousse indique une querelle de ménage. Une femme ivre est l’annonce d’un malheur prochain. La rencontre d’une bossue présage une visite dans la soirée. Si, en se rendant à un dîner, on croise une femme enceinte et échevelée, c’est une malchance en perspective.

On disait autrefois que rencontrer une jeune fille de bonne famille le matin rend la journée stérile, mais que rencontrer une prostituée est un bon présage pour toute la journée. Voyager en compagnie d’artistes annonce une querelle de ménage.

La rencontre d’un colporteur est un mauvais présage pour la santé. On a longtemps pensé que si un voyageur demande à quelqu’un son chemin, ce dernier doit retourner chez lui sous peine d’un grand malheur. Voir un brahmane dans la rue en Europe est un bon présage, en revanche, croiser un moine est traditionnellement de mauvais augure. Voir un prêtre qui se rase la tête est un bon signe. Croiser quelqu’un qui a mal à l’œil ou à la cuisse droite est un présage fâcheux. C’est mauvais signe de toujours rencontrer sur son chemin des personnes antipathiques.

Quand une personne qui vient de sortir de chez elle voit des gens discuter ou se quereller près de sa porte, ce qu’elle se proposait de faire doit échouer. C’est pourquoi autrefois il était d’usage de rentrer chez soi pour quelques minutes et de ne ressortir qu’après que les gens se fussent éloignés. Signalons à ce propos que, selon une vieille coutume, si l’on vient à passer devant son logis, il faut avoir soin de marcher sur le seuil de la porte pour éloigner la malchance.

Lorsque, sortant de chez soi animé d’un projet important, on est hélé dans la rue par un parent que l’on ne s’attendait pas à voir, le projet n’aboutira pas. Rencontrer la personne qu’on aime dans un cimetière est un très mauvais présage : séparation et pleurs. La rencontre d’un borgne, d’un aveugle, d’un boiteux, est traditionnellement néfaste, ainsi que celle d’un infirme.

Voir plusieurs fois dans un court intervalle de temps des déménageurs sortir d’une maison annonce un mariage ou un héritage sous peu. Traverser un cortège funèbre, une procession, est un signe de maladie ou de mort prochaine. Une noce qui croise un enterrement en entrant à l’église ne laisse rien augurer de bon pour le mariage. Deux proches parents qui se marient, dit-on en Inde, risquent fort de n’avoir que des garçons dans leur progéniture.

Remettre la date d’un mariage qui a déjà été publié à la mairie est fort mauvais. Enfin, un suicide dans une maison prédit la ruine pour certains de ses habitants.